Le monde devient de plus en plus petit. Il y a de moins en moins d’endroits où se cacher et où réfléchir. Rien n’est plus à l’abri des regards. C’est quelque chose que le quintette belge Balthazar a profondément ressenti alors qu’il sillonnait le monde pour la tournée de son album de 2012, Rats. Ça a été une période intense, au cours de laquelle les musiciens ont laborieusement accumulé les kilomètres d’une façon qui peut remettre en question le sort d’un groupe, qui fait que ça passe ou ça casse, mais les deux auteurs compositeurs de Balthazar, Maarten Devoldere et Jinte Deprez, en sont ressortis encore plus forts. Comme l’explique Jinte, « chacun connaît maintenant les secrets les plus sombres de l’autre. On a vécu et grandi ensemble, comme des frères. En fait, on a découvert qu’on s’appréciait vraiment l’un l’autre. »



Le fait qu’ils aient vécu l’un sur l’autre a laissé des traces à Thin Walls, le sensationnel nouvel album de leur groupe de cinq musiciens, complété par Patricia Vanneste, Simon Casier et Michiel Balcaen. « Thin Walls ne parle que de tourner et de n’avoir aucune intimité », dit Jinte. Les chansons ont été écrites dans un état brumeux et hyperactif, entre les concerts. Les deux albums précédents de Balthazar, Applause, en 2010, et Rats, un disque d’alt-rock brûlant et calculé, en 2012, avaient été créés de façon lente, réfléchie, à la maison. Cette fois-ci, le groupe a dû caser des séances d’écriture dans ses rares jours de congé. « Quand tu es en tournée, l’ambiance est très fébrile et chaotique », dit Maarten. « La vie en tournée est assez étrange, on fait tout pour toi et tu bois beaucoup trop. Quand tu écris avec la gueule de bois, tu écris différemment... »

Le disque qui en résulte est le plus instinctif et le plus tranquillement sauvage du groupe à ce jour. C’est, dit Jinte, le produit de l’environnement dans lequel il a été conçu, « moins intime », mais qui n’en est que meilleur. Si leurs deux premiers albums venaient de la tête, celui-ci vient directement des tripes. Son titre est peut-être un clin d’œil aux regards indiscrets de l’époque moderne, mais c’est aussi une description littérale de la façon dont tant de ces chansons sont nées : Jinte et Maarten avaient loué des chambres adjacentes dans un vieux monastère et les murs peu épais [thin walls] entre les chambres faisaient qu’ils pouvaient entendre chaque idée sur laquelle l’autre était en train de travailler. « S’il avait une nouvelle mélodie, je pouvais l’entendre avant qu’il ne me la joue », dit Maarten, « donc j’avais une idée de chanson avant même de l’avoir réellement entendue ». Le monastère a hébergé les deux musiciens à plusieurs reprises, deux ou trois jours à chaque fois, avant qu’ils ne repartent sur la route, où les hôtels et leur bus de tournée sont eux aussi devenus des ateliers d’écriture de chansons. « On a dû trouver une nouvelle façon d’écrire pour ce disque », dit Maarten. Cet état de flux constant, dit Jinte, a donné à ces chansons une vraie « rage de vivre ».

La dynamique entre les deux leaders est la clé de l’attraction magnétique qu’exerce Balthazar. Les deux hommes se sont rencontrés en faisant la manche sur les places de diverses villes, alors qu’ils étaient encore adolescents, mais au fil de leurs collaborations, ils ont perfectionné un partenariat d’écriture complexe qui porte ses fruits sur ce nouvel album. « On est vraiment complémentaires », dit Jinte, « on est deux auteurs totalement différents, parce qu’on n’aime pas les mêmes genres de trucs. Par exemple, si j’essaie d’écrire une chanson dans le style de Kanye West, il va dire “faisons ce truc délirant à la Leonard Cohen par-dessus !” Ça fonctionne beaucoup comme ça. On est les meilleurs critiques l’un de l’autre. » Au fil des années, chacun s’est imprégné de la personnalité d’auteur de l’autre : quand ils ont commencé, Jinte était le guitariste de rock qui écrivait des riffs et Maarten l’auteur de chansons doué pour les textes. « On travaille ensemble depuis si longtemps qu’on s’est mutuellement influencés », dit Maarten. « Maintenant, il bosse dur sur les textes et j’écris des chansons rock… ».

Après avoir produit lui-même Applause et Rats, le groupe a cette fois-ci traversé le Royaume-Uni pour travailler avec Ben Hillier, le producteur de Blur, de Depeche Mode et d’Elbow, et avec Jason Cox (Gorillaz, Massive Attack) aux Yellow Fish Studios de Lewes. Au cours de leur séjour de trois semaines, ils ont eu l’occasion d’être témoins de la bizarrerie psychédélique qu’est la Bonfire Night [Commémoration de la nuit du 5 novembre 1605 où Guy Fawkes tenta de faire sauter le Parlement, NdT] à Lewes. « C’était bruyant et il y avait beaucoup d’alcool – tout ce dont on a besoin pour faire démarrer un disque », dit Jinte. Le fait de remettre l’album entre les mains de quelqu’un d’autre a été un soulagement bienvenu : « ne pas être en charge de la production nous a apporté une certaine tranquillité d’esprit », dit Maarten, « travailler avec Ben nous a offert beaucoup plus d’espace pour nous concentrer sur la musique ».

Le résultat est le meilleur disque de leur carrière : un album féroce de rock indé, rempli de grooves nocturnes et de mélodies hypnotiques. Les thèmes des paroles de Jinte et Maarten semblent toujours se retrouver sur la même longueur d’onde, ce sont des chansons d’angoisse, d’espoir, d’amour et de peur. Généralement, c’est une fille qui provoque l’une de ces émotions, ou toutes à la fois. « J’écrirai toujours sur les filles », dit Maarten, « c’est le truc qui me pousse à écrire ». « J’aime vieillir, parce qu’il devient chaque jour un peu plus évident que personne ne sait rien », dit Jinte. Le diable est dans les détails : c’est un album de choses simples. « La vie de personne n’est une tragédie grecque », dit Jinte, « il ne s’agit jamais de grands trucs, ce sont toujours de petites choses ».

L’album s’ouvre sur le vol plané cinématographique de « Decency », un morceau qui parle « d’être dans un groupe » et qui donne le ton surnaturel, fascinant, de tout le disque. Ce sont des chansons qui vous mettent au défi de gratter sous la surface. « Then What » est un rock joyeusement dépenaillé parlant d’être si éperdument amoureux qu’on réalise que son bonheur dépend de quelqu’un d’autre (« ce qui est une sensation agréable », dit Maarten). Le swing glam un peu flou de « Nightclub » explore la beauté poétique, bohème, qu’il y a à être saoul et à essayer d’impressionner des filles, et le fredonnement mélancolique de « Dirty Love » parle de l’inévitable destin tragique du fait de tomber amoureux en tournée. Les thèmes s’imbriquent et s’entremêlent : le grave et émouvant « Bunker » parle d’une fille qui a déménagé, tandis que le vaporeux « Wait Any Longer » parle de changer de ville soi-même. On revient aux sujets du doute et de l’amour avec « Last Call », « I Looked For You » et « So Easy », tandis que l’explosion orchestrale de la dernière chanson, « True Love », est une note finale douce-amère tout à fait appropriée. « Elle parle de désir sexuel, et de la façon dont ça peut tout foutre en l’air », dit Maarten, « je suppose que c’est un thème classique. »

Thin Walls est un instantané envoûtant de la vie entre vingt et trente ans, un album qui place Balthazar à l’orée d’une grande percée. Une beauté à combustion lente se dégage de leurs chansons. Ces émouvantes vignettes vont emmener nos cinq musiciens audacieux vers de nouveaux horizons inexplorés.