Rewind. Les deux « frères » se rencontrent en 2004. L’un - Florent Marchet - vient de publier son premier album, « Gargilesse ». L’autre - Arnaud Cathrine - est romancier. Ils font connaissance au festival littéraire de Manosque. Le premier officie dans la chan-son française mais il est également grand lecteur ; il rêve secrètement de défier les « formats » pop. Le second a plusieurs livres à son actif mais, ayant pratiqué la musique et le chant pendant son adolescence, il rêve de retrouver un clavier et l’usage de sa voix. Le tandem est né : Arnaud Cathrine et Florent Marchet élaborent plusieurs lec-tures musicales ensemble en festivals ; souvent des extraits de romans d’Arnaud ac-compagnés de chansons de Florent. Florent se met à lire en public, Arnaud se met à chanter. Ils prennent sacrément goût à ces créations qui sont tout à la fois des concerts et des lectures, des performances qui procèdent tout simplement à une hybridation des genres. Ils finissent par émettre le désir de créer une œuvre à part entière qui se-rait à la croisée de la chanson française et de la littérature. Ce sera Frère animal, un livre/album publié aux Éditions Verticales/Gallimard en 2008. Se joignent à eux Valérie Leulliot (leader du groupe Autour de Lucie) et Nicolas Martel (comédien, danseur et membre du groupe Las Ondas Marteles).

Pourquoi ne pas présenter le projet en live ? Histoire de se faire plaisir. Dont acte. Le 15 avril 2008, Frère animal naît au Café de la danse à Paris. Et devient finalement un spectacle et une tournée de trois ans.

Frère animal aura laissé une empreinte marquante à ces quatre artistes venus d’horizons différents. De même que le souvenir de ces spectateurs si peu habitués à voir débarquer pareil OVNI mais cueillis et touchés. Il faut préciser que Frère animal avait pour objet la vie d’une entreprise à l’heure ultra-libérale, ses techniques mana-gériales déconcertantes (voire aliénantes) et le trajet d’un jeune vingtenaire – Thibaut – qui se débattait, vaille que vaille, avec un destin d’ouvrier tout tracé dont il ne voulait pas.

Florent, Arnaud, Valérie, Nicolas : chacun a repris son vol mais avec l’envie de réitérer l’aventure un de ces quatre. Sauf qu’on ne revient pas sur une simple impulsion, une lubie. Six ans ont donc passé. Les compères n’ont pas cessé de se voir, d’évoquer l’avenir de Frère animal. Et puis, ils ont fait comme tout le monde : ils ont eu des con-versations à bâtons rompus, sur tout et rien, sur leur pays, tiens : leur pays. Comment va-t-il leur pays ? Et puis ça : les élections de 2017… La crise. La peur. La montée de l’extrême droite, pas simplement en France d’ailleurs… OK. L’heure est grave ? Alors on y retourne.

Florent et Arnaud se remettent à écrire d’arrache-pied. Ils sont au beau milieu de leur chantier quand les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher sidèrent la France et le monde. Accélération. On y retourne vraiment.

Ce second volet de Frère animal reprend donc l’équipe initiale (à laquelle viennent s’ad-
joindre François Morel et Bernard Lavilliers sur l’album) de même que la forme du premier épisode : une fable contemporaine entièrement en musique, parlé et chanté. C'est l'histoire de Thibaut, héros du premier volet, jeune homme défavorisé et à la dé-rive, qui tente en vain de s'insérer dans une société qui a décidément peu de place pour lui. C'est par la même occasion l'histoire d'une ville moyenne française en 2015 en proie à une montée de l’extrême droite fulgurante qui promet des sueurs froides au moment de l’élection présidentielle de 2017. Thibaut, sombre et esseulé, cherche du travail, en vain. Le dépit ne tarde pas à se changer en colère et en ressentiment. Il n’en faut pas plus à Benjamin – un ancien camarade de classe – pour le persuader de s’encarter au Bloc National, parti extrémiste et identitaire dont le chef de file promet de figurer au second tour des prochaines élections. Lorsqu’ils découvrent le militan-tisme de Thibaut, ses proches tombent des nues et tentent de le ramener à la raison. La confrontation va pourtant durer jusqu’aux résultats du premier tour des élections…

La France et sa violence toute contemporaine restent au cœur de ce nouvel épisode avec une question centrale : comment une jeunesse désemparée et de plus en plus nombreuse cède-t-elle à l’idéologie d’extrême droite ? Hypothèses ou réponses en musique et en mots dans cet album intitulé « Second tour ».