A l’origine, il y a deux jeunes garçons avec des guitares en bois qui chantent comme des oiseaux. Antoine Wielemans et Lionel Vancauwenberghe s’ennuient sévère sur les bancs de l’école de leur petite ville de province. Forcément, ça ne peut pas être que ça, la vie ! Alors, ils écrivent, bidouillent. Et se découvrent un talent inné pour la mélodie. A la sortie de leur premier album (From Here to There), un journaliste écrit : “Si ces garçons étaient anglais, ils seraient des stars dans trois mois”. Mais ils sont belges. Et dans les petits pays, on gravit les marches une à une. Tant mieux.

Car les Girls in Hawaii vont s’octroyer le droit le plus précieux de la vie d’artiste : celui de prendre le temps. C’est donc pas à pas, leur vie toute entière, qu’ils vont documenter dans leur musique. La candeur des débuts (From Here to there, 2003). Puis, l’entrée dans l’âge adulte, le découragement face à la tâche à accomplir, l’envie de tout arrêter ou de fuir (Plan Your Escape, 2008). Et enfin, l’injustice. La mort de Denis, le batteur, un soir de mai. Et cette force qui revient peu à peu. Qui nous dit “Tu es en vie ! Et toi seul peux donner un sens à tout cela” (Everest, 2013).

De l’avantage d’être belge, on a donc le temps pour soi. Ce qui offre aux Girls le luxe de pouvoir se poser, d’attendre le bon moment, d’aller au bout de leurs idées. Et surtout de donner, à chaque fois, le meilleur d’eux-mêmes. Et lorsqu’on regarde aujourd’hui cet étrange parcours, on voit de la survivance dans la musique de ces grands gamins un peu attardés parfois. Qui cachent en réalité de jeunes adultes angoissés de devoir affronter le matin à venir. La vraie vie et tout ce qu’elle charrie. Comme nous tous en réalité. C’est d’ailleurs à cet exact endroit que leur musique nous touche. Elle est un cocon. Elle nous rassure. Et nous murmure : “Tu n’es pas seul.”

Quatre longues années après Everest, voici enfin Nocturne. L’album le plus “agile”, le plus “facile à écrire et réaliser” selon les dires du groupe. Un jet. Fabriqué à la manière d’une toile de Jackson Pollock. Un disque qu’Antoine et Lionel ont écrit chacun dans leur coin “sans trop de consignes”. Sinon quelques mots-clés échangés pour circonscrire le sujet : hypnose, jungle, les peintures naïves de Rousseau aussi. “Cibler le travail de manière picturale, ça évite les discussions infinies”, expliquent-ils. Contrairement à Everest, fruit d’une longue et douloureuse réflexion nécessaire à tout disque de résurrection, Nocturne s’est donc fait “presque tout seul”.

Le groupe se retrouve avec dix chansons dont il sait qu’elles participent de la même approche, de la même sensibilité. Même s’il ne parvient pas encore à nommer ce qui les rassemble. “On s’est donc mis à chercher une image qui résumerait à elle seule notre propos”. Les garçons squattent alors les bibliothèques. “Et assez vite, nous sommes tombés sur la peinture de l’Anglais Tom Hammick, qui nous a subjugués. Elle faisait directement écho à notre musique, à notre vision du monde, à ce que nous avions écrit sans nous en rendre compte : un disque sur l’enfance à jamais perdue...” Sombre et naïve au premier coup d’oeil, la toile montre un homme égaré dans la nature menaçante. Coincé entre les éléments. Mais les contrastes sont puissants, les couleurs vives. “Et très vite, on s’aperçoit que derrière cette première impression. Derrière la solitude et la peur, il y a de belles choses à regarder”. Et donc probablement à vivre.

Nocturne. Superbe titre.

Superbe album aussi, produit par Luuk Cox (déjà aux manettes d’Everest) qui imposera encore un peu plus les Girls comme un groupe essentiel. Capable de rester lui-même tout en bifurquant pourtant. Car cette fois, les garçons ont décidé d’avancer sur deux tableaux : Les textes d’abord qui mettent de côté le mal être adolescent (“On n’a plus vingt ans, il va falloir un jour assumer”) et la musique aussi, qui range un peu les guitares pour privilégier les sonorités électroniques.

“C’était assez clair pour nous. Nous ne voulions plus parler de nos mésaventures, de nos petits soucis, de nos angoisses. Nous voulions cesser de nous complaire dans la mélancolie et la tristesse ! Il nous fallait parler des autres, de nos proches, du monde qui nous entoure. Parce qu’il est ce qu’il est. Et qu’on ne peut pas l’ignorer !” Depuis Everest, tous les Girls sont devenus papas. Et forcément, ça change la perspective qu’on a sur le monde alentour.

A ce sujet, trois textes frappent dès la première écoute : Up on the Hill, Overrated et Blue Shape. Chacun se fera son idée évidemment, car les Girls ont une écriture qui ne donne pas toutes les clés. Mais on ne peut qu’y voir un monde terrorisé par ceux qui semblent avoir vu la lumière. Ou le triste sort de ces réfugiés dont on retrouve trop souvent, sur de “sublimes plages”, les corps inanimés. Blue Shape se fait plus précise encore. Et dépeind un enfant, face contre sol, petite forme rouge et bleue, qui avait “une maison et des blessures à fuir”. Nous apparaît alors ce cliché qui nous a foudroyés. Celui du corps sans vie du petit Aylan, 3 ans, retrouvé au petit matin sur une plage turque. Glaçant ! “Qu’est-ce qu’il y a de plus frappant qu’une image comme celle-là ?, commentent-ils. Une émotion naît et enclenche le besoin de faire de la musique. D’utiliser les outils à notre disposition pour en faire quelque chose. Pour transformer cette horreur en une autre énergie... »

La musique aussi a évolué. Aux atmosphères boisées d’hier, les Girls ont décidé de poursuivre (que les fans se rassurent, il reste des guitares et des arpèges envoûtants) le travail entamé sur Everest avec la mise en avant des machines. « C’est très étrange mais nous cherchons à nous détacher de l’émotion fabriquée. Paradoxalement, plus on fuit l’émotion, plus on en génère. C’est en tout cas notre conviction ! C’est la grande révolution musicale de ces vingt dernières années. La technologie peut nous élever. C’est très excitant cette idée de créer de l’émotion avec ce qui a priori n’en a pas. »

Voilà donc surgir un disque qui joue avec les opposés. Semblable mais différent. Désespéré mais lumineux. Apeuré mais courageux. Mélodieux mais aussi risqué. Qui débute avec des arpèges typiques de la galaxie Girls pour glisser peu à peu dans des enchevêtrements électroniques.
Nocture s’ouvre sur This Light, où piano et guitares forment un arpège désespéré peu à peu dévoré par les nappes de synthés. Avant qu’arrive cette phrase récitée comme un mantra : “Keep your distance from this light”. La peur du jour à venir. Toujours.
Dans Guinea Pig, un homme regarde de vieilles photos et se demande où est donc passé le sourire de l’enfant qu’il était.
Arrive alors Cyclo que n’aurait pas renié le Radiohead de l’époque Kid A/Amnesiac.
C’est ici que l’album glisse peu à peu vers sa dominance électronique. Indifference est une ballade synthétique pour nous tous, trop souvent tentés de voir le verre à moitié vide.
Arrive le coeur de l’album : Overrated qui fait sérieusement monter le ton et s’impose comme un single imparable. Et Blue Shape qui en est le chef d’oeuvre indiscutable : une ballade infiniment tendre et vénéneuse. Morceau amiral délicat et brutal qui tient plus de la prière que de la chanson pop.

Walk, ses nappes eighties et son refrain super catchy, emmène alors l’album sur des terres plus légères et ludiques.

Tandis que Monkey impose la musique électronique en accords mineurs, à la manière d’un Thom Yorke solo.

Il est temps de redescendre sur terre. Willow Grove est du classique Girls in Hawaii, chanson ample au refrain redoutable et arrangements improbables.

Enfin, Up on the Hill referme le disque : voix grave, clics, morceau terrifié qui nous replonge de plein fouet dans ce monde qui déraille. Autant y apporter un peu de beauté. Ce ne sera jamais perdu.

Quelle que soit votre lecture, une chose est cependant certaine : les nouvelles chansons de Girls in Hawaii vont vous émouvoir. Vous retourner parfois. Dans Nocturne, le monde est, il est vrai, désenchanté. Mais il y a ces contrastes forts, ces couleurs vives. Cette lueur, quelque part. Et lorsque se fait enfin le silence, on pense à l’ultime phrase du roman Gatsby le Magnifique de Francis Scott Fitzgerald : “Gatsby croyait en la lumière verte, à cet orgasme imminent qui année après année, reflue avant que nous l’ayons atteint. Nous avons échoué cette fois. Mais peu importe. Demain nous serons plus rapides, nous étendrons nos bras plus loin. Et un beau matin... C’est ainsi que nous avançons, comme des barques à contre-courant, sans cesse repoussés vers le passé. »

22-nov.-17 NANTES - STEREOLUX
23-nov.-17 BORDEAUX - KRAKATOA
24-nov.-17 ANGOULEME - LA NEF
25-nov.-17 ORLEANS - ASTROLABE
29-nov.-17 CAEN - BIG BAND CAFE

30-nov.-17 VANNES - ECHONOVA
1-déc.-17 RENNES - L'ETAGE
2-déc.-17 LILLE - SPLENDID
6-déc.-17 ROUEN - 106
8-déc.-17 LYON - EPICERIE MODERNE
9-déc.-17 STRASBOURG – LAITERIE