Parce que depuis qu’il y a des amoureux, ils se chantent mutuellement la sérénade. Et parce que depuis qu’il y a des Dieux, les mortels leur chantent aussi la sérénade.

En ce sens, le premier album de LUH, Spiritual Songs For Lovers To Sing, est familier, mais globalement, pris comme un tout – un album, un groupe et un concept – c’est quelque chose de totalement nouveau ; un disque construit sur des idées et non sur des influences, plus puissant et passionné que tout ce que vous entendrez cette année.

LUH, c’est Ellery Roberts et Ebony Hoorn, les amoureux du titre. Le nom d’Ellery est peut-être connu en tant que chanteur de WU LYF, le quartet incendiaire de Manchester dont la rhétorique, l’imagerie et l’unique album ont offert un nouveau modèle à la fureur indomptée de la jeunesse.

Ebony et Ellery se sont rencontrés dans les derniers jours du groupe, en 2013. Ellery revenait à Manchester après une tournée et a rencontré Ebony (en visite depuis Amsterdam où elle habitait) dans le squat délabré que partageait un groupe de musiciens basés à Manchester. Le courant est immédiatement passé entre eux, « Nous sommes tous les deux des loups solitaires qui ne trouvent pas souvent de joie dans la compagnie des autres, mais nous avons trouvé quelque chose que nous apprécions l’un chez l’autre », dit Ebony.

Tous deux sont des artistes dans leurs domaines respectifs – Ebony récemment diplômée du département audio-visuel de la prestigieuse Rietveld Academy d’Amsterdam – et ils se sont rapidement retrouvés en contact constant sur internet, partageant leurs rêves et leur inspiration. Finalement, Ellery a quitté son refuge de Londres pour vivre avec Ebony à Amsterdam, et ils ont pu se concentrer sur un projet de vie totalement partagée.

« C’est intéressant de vivre et de créer ensemble », dit Ellery. « Au fond, on a instantanément eu cette sensation qu’on voulait faire ça ensemble, explorer la vie ensemble. Et pour moi, la musique est une façon instinctive d’explorer la vie et d’en rendre compte. »

Ça a été un véritable tonifiant pour Ellery, qui se débattait avec l’idée d’être le chanteur d’un groupe, ce qui l’a finalement conduit à le dissoudre. « Quand quelque chose devient la représentation de la réalité, l’interprétation de la passion plutôt que l’émotion elle-même, tu pourrais tout aussi bien être en train de vendre du savon », dit-il. « Mais les relations sont des choses intenses. Suffisamment pour t’échauffer le sang ou te faire chanter. Cette réalité donne une vraie intensité. »

Le chaudron créatif du duo bouillonne et déborde d’enthousiasme. « On partage un réel intérêt pour la découverte de tout ce que ce monde a à offrir », dit Ellery. « Ebony a vraiment un truc incroyable pour trouver des choses réellement nouvelles et intéressantes – de la musique, des films, de la culture, elle a tout simplement un don pour les dénicher. »

En discutant du projet, ils parlent des possibilités de la singularité post-humaniste et de l’effondrement du capitalisme. Comme sources d’inspiration, ils ne citent pas seulement des confrères musiciens, mais aussi de grands penseurs comme Buckminster Fuller, partisan du dôme géodésique et inventeur de la Dymaxion Map [Dynamic Maximum Tension Map, ou Projection de Fuller]. « Des idées qui sont aujourd’hui, plus que jamais, potentiellement applicables », dit Ebony.

C’est quelque chose qui correspond aux objectifs de LUH – unir les auditeurs, emmener les gens dans un voyage en leur compagnie. « Aujourd’hui, la culture, c’est des gens qui adoptent un millier d’identités, de goûts, de tout », dit Ellery. « Je sens vraiment que dans le monde dans lequel nous vivons, en ce moment, il y a un grand nous et un petit eux. L’universalité de l’expérience de la vie dissout toutes ces frontières. C’est juste l’expérience de la vie. »

Un livre, ou une histoire, semble toucher une corde sensible chez le duo, décrivant l’expérience de leur rencontre et indiquant la direction d’une structure pour l’album : Hero With A Thousand Faces [Le Héros aux mille et un visages] de Joseph Campbell, qui identifie la réapparition d’un mythe intemporel dans la culture humaine et qu’on peut, dans une certaine mesure, retrouver dans chacune de nos vies. « Tout le monde a le choix d’être un héros dans sa vie ou la personne qui regarde, sur le côté », dit Ellery. « Je suppose qu’avoir rencontré Ebony à ce moment-là m’a fait réaliser que si je voulais faire ce que je voulais dans la vie, je devais avancer et m’y mettre. »

Le mythe du héros – révélation, puissance et triomphe sur l’adversité – a influencé le fil narratif de l’album, un cycle de chansons formant une boucle, basé sur le passage de l’impulsion à l’expérience et sur des étincelles d’éveil spirituel. « Le disque part d’un point de vue aliéné et matérialiste qui atteint un point de rupture avec la chanson ‘$ORO’. Après, il se rebâtit en s’orientant vers la réalisation de soi, le fait de prendre sa vie en main et d’assumer la responsabilité de ce qu’on en fait », explique Ellery. « Peut-être arriverez-vous à la fin en vous trouvant à un endroit pas très différent de celui d’où vous êtes partis, mais l’expérience vous a fait progresser quelque part, dans votre esprit ou dans votre compréhension. »

En ce sens, le premier titre aux allures d’hymne, « I&I » et le dernier, le semi-acoustique « The Great Longing », sont des morceaux amis, destinés à guider l’auditeur pour le ramener au point de départ. « Le début et la fin du cycle, c’est le disque qui fait une boucle parfaite », dit Ellery. « Il peut tourner sans fin. » Le premier fait référence au symbolisme ésotérique, « une notion d’unité rattrapée par une séparation dualiste ». On flirte avec la puissance et la majesté du grand mystère, pourtant on ne souscrit ouvertement à aucun message dogmatique. « Tout ce qui est symbolique présente une certaine vérité. La religion basée sur certaines perceptions de la réalité a constitué un système de pouvoir autoritaire pendant des milliers d’années », explique Ellery. « Je ne pense pas que les enseignements des religions mondiales soient erronés, mais l’organisation bureaucratique de ces religions les pousse à s’occuper de questions de contrôle et de pouvoir. »

Une autre influence sur cet album – musicale cette fois – c’est le What's Going On de Marvin Gaye. « J’adorais vraiment l’idée que What’s Going On soit le modèle d’un album, par ce qu’il communiquait, ce qu’il remettait en question. C’est en lisant quelque chose à son sujet que je suis tombé sur cette notion de cycle de chansons, et tout ça semblait coller avec le cycle d’un héros et avec toutes ces différentes conditions qu’on traverse », dit Ellery. « Ça a fonctionné comme modèle d’une œuvre, d’un disque – et je pense que quand tu fais un disque, tu dois faire un travail réfléchi du début à la fin, pas un tas de chansons que quelqu’un peut écouter par petits bouts en streaming. »

Faisant appel à tout ce qui vient d’être évoqué, cette musique puise directement dans quelque chose de primitif et de puissant ; la voix à vif caractéristique d’Ellery, indomptée depuis ses années d’adolescence dans WU LYF, est contrebalancée par la retenue cool d’Ebony. De son côté, l’instrumentation varie, passant d’une grandeur luxuriante à un Auto-Tune discordant – ce dernier plus notablement présent sur le cataclysmique « $ORO ». « Cette chanson est une pièce de théâtre d’ombres, où l’on perd son respect habituel pour l’humanité et son empathie pour les autres, et où l’on vit de cette façon binaire, post-humaine. L’Auto-Tune sur la voix reflète ça », dit Ellery. Selon Ebony : « Ça n’était pas nécessairement une stylisation consciente, on ne s’est pas dit ‘faisons une musique pop contemporaine dans l’air du temps’. On reflète l’époque dans laquelle on vit en ce moment, des choses qui renvoient à notre culture. »

Le duo a réalisé l’album dans un isolement presque total, entre Amsterdam et Manchester, enregistrant sur Ableton. « Puis on en est arrivés à un point où il nous fallait les oreilles d’un producteur », dit Ellery. « On voulait faire quelque chose de vraiment grandiose. On ne voulait pas quelque chose de crasseux et de lo-fi – ça devait être un blockbuster, on avait donc besoin de quelqu’un qui pourrait nous aider à atteindre ça. »

Embauchant le compositeur britannique Bobby Krlic – connu pour son travail sous le pseudonyme de The Haxan Cloak – à la production, LUH s’est mis dans l’idée d’enregistrer sur l’île d’Osea, un morceau de terre marécageuse très peu peuplée, uniquement accessible deux fois par jour par une chaussée pavée Victorienne délabrée. « On voulait aller quelque part où on pourrait simplement disparaître et n’avoir aucune sollicitation extérieure », dit Ellery. « C’était en mai, le soleil dardait ses premiers rayons, les fleurs s’ouvraient et ça a rapidement correspondu à mon idée de l’utopie – des gens [dont l’ingénieur du son Ray Tovey] menant une vie en collectivité, faisant la cuisine les uns pour les autres, travaillant ensemble. On avait la possibilité de travailler 24 heures par jour, sept jours par semaine et de permettre aux chansons de s’ouvrir et de grandir, de prendre une nouvelle vie. »

Jusqu’à maintenant, le public connait peu de choses sur le groupe, excepté le lot de chansons qu’il a sorti via BitTorrent, qui comprenait le titre « Lost Under Heaven ». C’était leur appropriation, disent-ils, d’un artéfact des temps modernes dans le style Fluxus. Une boîte pour vous faire penser. L’album – à paraître au printemps – est terminé, et leurs synapses créatives sont toujours en feu. Ebony et Ellery travaillent sur l’interprétation live de ces chansons ; quelque chose dont ils disent qu’à un moment il incorporera des éléments de théâtre immersif et d’art empirique. « Pour l’instant, les mécanismes initiaux de LUH sont assez conventionnels – c’est un groupe avec un disque et un label – mais c’est une nécessité fonctionnelle pour pouvoir avancer et développer ce support. Avec les années, nous allons suivre cet élan pour développer quelque chose pour lequel nous n’avons pas encore de mot », dit Ellery.

Ils ont hâte d’emmener LUH sur les scènes du monde entier, et ils ont confiance en l’endroit où ils vont, et dans le fait qu’ils sauront éviter les pièges du passé. « WU LYF était très romantique et il s’agissait en grande partie de grandir et de voir la manière dont tourne le monde et dont il fonctionne, de façon énormément fondée sur l’exploitation. Tu te dis, je me sens très mal à ce sujet, mais c’est juste comme ça que sont les choses. Je suis complice. Le truc important avec LUH, c’est simplement de comprendre cet aspect du monde et de trouver une façon de vivre avec laquelle on soit à l’aise. LUH devient un processus d’apprentissage mutuel entre Ebony et moi et tous ceux qui s’embarquent avec nous. Ce qui nous inspire, c’est de développer des façons de faire les choses différemment, et de vivre progressivement une vie meilleure, plus riche. »