Minor Victories : Stuart Braithwaite, Rachel Goswell, Justin Lockey & James Lockey

Un heureux accident ? Un rassemblement de gens de même sensibilité ? Quelque chose qui échappe à leur contrôle ? La naissance et l’évolution de MINOR VICTORIES ont été un peu tout ça à la fois, et plus, que ce soit pour eux et pour nous autres, qui regardons à l’intérieur par la fenêtre.
Voici les « faits ». Justin Lockey, guitariste d’EDITORS mais aussi artiste travaillant dans divers domaines, films, photographie et musique, voit arriver la fin du monstrueux calendrier de tournée qui a suivi le quatrième album du groupe, The Weight Of Your Love, et a envie de faire quelque chose de différent de son travail quotidien. Il a une vision, un EP de bruit extrême, survolé par une délicate voix féminine. La chance frappe à sa porte sous la forme d’un management commun avec Rachel Goswell, de SLOWDIVE. Celle-ci ayant complètement retrouvé son appétit musical avec la reformation très applaudie de son groupe, des morceaux sont échangés et deux chansons prennent forme. Les deux artistes ne se sont jamais rencontrés.
Peut-être qu’un deuxième guitariste serait le bienvenu sur un ou deux titres ? Des noms sont suggérés, Rachel dit qu’elle a beaucoup fréquenté Stuart Braithwaite, de MOGWAI, au cours des tournées d’été de SLOWDIVE un peu partout autour du monde, et qu’ils sont devenus bons amis. Le duo trouve que c’est une très bonne idée. Stuart écoute, et ajoute des guitares. Stuart n’a jamais rencontré Justin. Il intègre le projet. Il a quelques autres idées : peut-être pourraient-elles être ajoutées à la collection de titres ?
Justin et Rachel se rencontrent brièvement chez Latitude. Littéralement quelques minutes. Je peux le confirmer. J’y étais. Ils se rencontrent à nouveau réellement à Crear, en Écosse du Nord, où EDITORS commence l’enregistrement de son cinquième album studio, In Dream, sur lequel Rachel apporte sa contribution au chant. Justin n’a toujours pas rencontré Stuart. La toute première chanson que Justin passe sur les enceintes de Crear pendant qu’ils s’installent est une première version de « Out To Sea ».
S’ensuivent diverses pauses et arrêts, quand les activités des groupes de chacun les accaparent. Rachel téléphone à Justin après une nuit passée dehors et lui pose carrément la question, « on finit ce truc ou quoi ? ». Justin fait écouter ce qu’ils ont fait à son frère James, un ancien membre de BEF, bassiste et partenaire des réalisateurs de films Hand Held Cine Club. James aime ce qu’il entend. Il a quelques trucs sur son disque dur. Peut-être pourrait-on les ajouter ? Le EP s’étoffe, pour devenir quelque chose de plus grand, d’indescriptible. James n’a jamais rencontré Rachel ni Stuart.
James se rend à Glasgow pour travailler sur ses morceaux avec Stuart et l’ingénieur du son Tony Doogan, au studio Castle of Doom de MOGWAI. James est légèrement inquiet, on le comprend, il va habiter chez Stuart et, souvenez-vous, il ne l’a jamais rencontré. Le duo écrit si rapidement que le deuxième jour les voit à la recherche de parties à enregistrer. Stuart joue de la batterie sur certains morceaux, James joue de tous les instruments sur « Cogs », Stuart et James se sont maintenant rencontrés, mais Stuart n’a toujours pas rencontré Justin.
Justin est à Newcastle, au centre d’une toile d’araignée en constante expansion d’enregistrements et de contributeurs additionnels, comme James de Twilight Sad sur « Scattered Ashes » ou Mark Kozelek sur son texte « For You Always », montant et remontant, communiquant par Skype, et le EP de bruit extrême devient un album qui commence à présenter les goûts divers et variés de tous ses contributeurs. Justin touche à peine à sa guitare, son rôle s’est transformé en quelque chose situé à mi-chemin entre orchestrateur et ingénieur du son, ajoutant les cordes et les sons orchestraux, les claquements et les bruits ambiant qui enrichissent ces morceaux déjà immenses, pour en faire quelque chose qui va bien au-delà de la vision originale de chaque participant. La géographie virtuelle du groupe s’étend maintenant sur tout le pays, d’Exeter à Glasgow, et de l’autre côté de l’Atlantique.
Justin rencontre enfin Stuart. Stuart est à un concert à Newcastle. Il mentionne le projet à un ami, qui lui fait remarquer que la maison de Justin est au coin de la rue. On boit des verres, on noue rapidement des liens. James n’a toujours pas rencontré Rachel.
Pendant une période de six mois, cette bande de copains virtuels et réels, ce groupe dont les membres ne se sont en fait jamais tous retrouvés dans la même pièce au même moment, échangent des idées et des chansons, des fragments d’enregistrements, d’autres terminés, via des connections à haut débit. Des couches sont ajoutées et ôtées, Rachel reçoit des tranches d’instrumentaux sur lesquels ajouter ses textes et sa voix, et travaille avec son partenaire Steve Clarke, nouvelle addition au casting, pour finaliser les chansons.
Alors, est-ce un groupe ou non ? Les groupes trainent ensemble et jouent dans des locaux de répétition, non ?
« C’est un groupe », insistent-ils tous individuellement sur Skype (naturellement). Plus encore, l’album est un produit de ce processus même. Comme le note judicieusement Justin, « les gens ne réalisent pas le nombre de groupes dont les membres ne se parlent pas entre eux », un contraste marqué avec ce réseau connecté via un processus que Rachel décrit comme « ce réel enthousiasme pour ce qu’on est en train de faire, avec des emails et des textes qui arrivent toute la journée de toute part ». James décrit la période d’enregistrement comme ayant été « bizarrement, dénuée de tout stress, les choses se passaient simplement » et tous remarquent que l’absence de séances planifiées et d’emplois du temps fixes ont fait qu’ils ont pu apporter leur contribution à leur rythmes respectifs, aux moments qui leur convenaient et à leurs propres conditions. Rachel va jusqu’à suggérer que son chant n’aurait pas été le même s’ils avaient suivi une voie conventionnelle, parlant d’une organisation qui lui offrait « la liberté d’être plus expressive ». Stuart parle de « l’espace à ajouter » à la musique, libérée des opinions immédiates. Liberté est un mot qu’ils emploient tous, ce sentiment que tout était possible et que toutes les idées seraient prises en compte. Humilité est un mot que pourraient ajouter des observateurs extérieurs, avec ce rassemblement d’individus talentueux prêts à mettre leurs egos individuels de côté pour permettre à l’ensemble de progresser.
En aparté, Stuart suggère que « c’est une sorte de miracle que des gens si occupés aient trouvé le temps de faire ce disque » et pourtant Minor Victories est un album que tous les quatre, avec leur grande expérience de l’enregistrement de disques, décrivent comme ayant été réalisé sans pression. Selon Justin, c’est pour une raison très simple, « on n’a pas besoin de prouver aux gens qu’on est un bon groupe, le niveau de la musique fait qu’on ne traîne personne contre sa volonté dans l’aventure. Au départ, et tout du long, on l’a fait pour le plaisir, pour faire quelque chose qu’on sait être bon ».
Cet esprit, la véritable essence de MINOR VICTORIES, un détournement de l’éthique du punk « n’importe qui peut le faire » vers « tu peux faire n’importe quoi », signifie que MINOR VICTORIES est bien plus qu’un unique album de chansons. Les films, qui ont commencé par un court métrage de 90 secondes l’année dernière où l’on voyait un réparateur de télé de Doncaster s’éclater dans sa boutique, continueront à définir le groupe, avec Justin et James aux commandes. D’autres courts seront réalisés. Selon James, les acteurs seront des « gens du coin et non des pros », les décors choisis dans sa ville natale de Doncaster, toujours dans l’esprit non-conventionnel du projet, le but étant « de filmer des choses que, normalement, on ne voit pas, d’utiliser quelque chose de normal pour moi d’une manière qui le rende remarquable ».
Bientôt, le projet qui est devenu un groupe dont les membres n’ont jamais été réunis dans une même pièce deviendra une réalité publique, et l’album qui a commencé sa vie comme un EP sera disponible. C’est tout autant une surprise pour le groupe que pour ceux qui attendent de l’entendre. Stuart s’émerveille encore que ce soit arrivé, disant que « former un groupe dans lequel certains musiciens ne se sont jamais rencontrés, c’est quelque chose que je n’ai jamais vu », James se demande comment « j’ai pu faire un disque avec des gens avec lesquels je n’aurais jamais imaginé avoir la chance de travailler » tandis que Rachel le décrit comme « la chose la plus excitante que j’aie faite à ce jour ». En ce qui concerne Justin, dont l’envie a lancé tout le processus, il n’a toujours pas compris ce que son petit EP noisy était devenu, mais il commence à penser que « nous avons subrepticement fait le disque que j’avais toujours voulu faire, sans jamais vraiment le réaliser. »
Et, au cas où vous vous interrogeriez encore, James a finalement rencontré Rachel à Londres, récemment. Je peux le confirmer. J’y étais.