Deux mètres de haut et une voix qui peut, elle aussi, tutoyer les étoiles. Baptiste Lalieu, alias Saule, revient avec un nouvel album qui devrait une fois pour toutes mettre les choses au clair : on peut à la fois être auteur, compositeur, comédien et chanteur.

L’Eclaircie est ce genre de disques qui vient après un virage serré dans une route serpentée, celle d’une vie bien remplie. Celle de Saule. Né à Mons, il chante dès son plus jeune âge, encouragé par l’ambiance familiale : « Ma mère est italienne, mes oncles sortaient souvent leurs guitares, et moi je faisais des petites mélodies au piano pour faire rire tout le monde. » A l’âge de 15 ans, il plonge dans le rock et le métal que pratique assidument son cousin, et passe de nombreux concerts à pogoter avec enthousiasme. Après son bac, il suit des études de communication – sans aucune conviction ! En cachette, il tente le concours du Conservatoire de théâtre de Bruxelles : « Je me tenais voûté, j’avais une patate dans la bouche… mais j’ai réussi car j’étais l’antithèse d’un acteur : cela a plu aux professeurs qui me voyaient comme un Pierrot lunaire un peu à part. » Le voici à réciter du Racine le jour et, le soir venu, à hurler dans des caves avec son groupe de punk hardcore, Flipcoin. A la demande de ses professeurs du Conservatoire, il compose des chansons françaises pour accompagner ses camarades qui répètent sur scène. Ainsi naissent des saynètes narratives qui vont être le terreau fondateur de Saule. Pendant ce temps, il tombe amoureux des voix androgynes de Jeff Buckley ou de Radiohead. Le rock bruyant de Flipcoin devient plus mélodique et aérien (sa formation change de nom et devient Second Skin). Le groupe fait des premières parties de Franz Ferdinand, tourne en Belgique, passe à la radio. Cependant, quelque chose lui manque : « Le fait de manipuler la langue française au Conservatoire me faisait songer à ces paroles en anglais que je chantais et que personne ne comprenait. J’ai toujours été fan de chanson française. Ma mère écoutait Gainsbourg, Brassens, Barbara… Et puis je me lassais de cette démocratie qui règne au sein d’un groupe où l’on ne peut pas toujours aller au bout de ses idées personnelles. Alors Saule est né. » Pourquoi Saule ? Parce que c’est face à un saule pleureur qu’il écrit sa première chanson et que soul signifie « âme » en anglais.

Après un premier album, Vous êtes d’ici, en 2006, disque d’or en Belgique, il est repéré en France, assure les premières parties de Bénabar, un duo avec Dominique A… Son second effort, Western, réalisé par Sébastien Martel, paraît en 2009, tandis que le réalisateur Benoit Mariage lui propose de faire la musique de son film Cow-Boy. A la même époque, il rencontre le musicien anglais Charlie Winston lors d’une émission de radio. Ils s’invitent à leurs concerts mutuels, s’écrivent… Lorsque Saule met en boite des chansons de ce qui deviendra Géant (2012) il demande conseil à Winston qui lui propose spontanément de le produire. En résulte également le duo « Dusty Men », devenu un tube en puissance.

Mais au sortir de « Dusty Men », la période s’avère difficile : « la quarantaine, les remous sentimentaux, le tourbillon de la vie comme le chantait Jeanne Moreau. Je me sentais coincé avec un tube, on m’en demandait un ou deux autres pareils… Et puis j’écris ce morceau, ‘L’Eclaircie’. La lumière revient sur ma vie personnelle, je me suis sorti du marasme artistique dans lequel je m’étais embourbé, et j’ai pu affronter l’actualité des derniers mois… Ce titre, ‘L’Eclaircie’, s’imposait. »

Pour la réalisation, Saule fait appel à Mark Plati, qui a travaillé avec David Bowie, Alain Bashung, les Rita Mitsouko ou encore The Cure. Ce qui lui permet d’exprimer d’autant plus ses influences anglo-saxonnes (Arcade Fire, Bon Iver, Fleet Foxes) et de manipuler davantage une pop épique. Tout en s’assumant comme chanteur – sur les bons conseils de Winston, lui l’encourageait à laisser s’exprimer sa voix. L’Eclaircie ne manque pas de classiques immédiats. En ouverture, la pop up-tempo fédératrice de « Comme », véritable hymne à l’indépendance artistique : « un jour, j’en ai eu marre qu’on me dise que ça serait bien que je fasse comme untel ou untel… J’ai décidé de faire comme j’en avais envie ! » On apprécie aussi l’énergie contagieuse de « Respire (Breathe »), la mélancolie en clair-obscur de l’autofictionnel « Delove Song », les envolées pop-rock de « Quand les hommes pleurent », écrit par Saule après avoir croisé un homme en larmes dans le métro. Sans oublier le folk à ressort de « Et pourtant je marche », la ritournelle dynamique de « On Part », l’alliance des chœurs et d’une électrique ludique sur « La femme fantôme », ou enfin la ballade hautement émotionnelle de « Nulle part chez moi », hommage vibrant au courage des migrants.

Et parce que la période est propice à la renaissance, Saule exerce aussi son métier de comédien. A l’automne 2016, il tient un premier grand rôle dans un long-métrage de Samuel Tilman, Une part d’ombre, où il partage l’affiche avec Natacha Régnier. Nouvelle preuve de ses « relations prémonitoires entre le son et l’image » et du talent multi-facettes d’un artiste qu’on a hâte de (re)découvrir, au fil des années à venir.