Avec un nom d’artiste pareil, Antoine Eynius, 29 ans, a placé sa destinée sous la coupe de l’astre de feu. Celui qui rythme le petit train-train social, nous expose sans répit à sa lumière et nous brûle parfois les ailes. Quelque part, cette histoire de soleil n’a rien d’incohérent chez un artiste qui a grandi sous la chaleur écrasante de Nîmes. On retrouve dans sa musique les effluves enivrants de ces instants hédonistes au bord de la piscine, entre amis, le mois de juillet venu, tandis que la parole se délie et que les corps luisants se nourrissent des derniers rayons du jour. Cette ambiance sexy et intime, avec sa touche de voyeurisme, ces petits mots qu’il susurre et répète sur des sonorités qui empruntent à la chill wave, la UK house et même au rock, c’est une partie de l’équation Suna. Mais qu’on ne se méprenne pas, la musique de Suna n’est pas ostentatoire. Il y a toujours cette mélancolie lancinante, propre à un Thom Yorke ou aux Archive des débuts, qui finit par rattraper le garçon. Suna n’est pas que soleil. Il a son côté loup solitaire, un trait de caractère hérité d’années à user des manettes de consoles sur les différents opus de Zelda, GoldenEye, ou encore plus tard Halo – au point de participer il y a une dizaine d’années au championnat de France de cette saga aux millions de fans.

Sans verser dans le cliché du noctambule désœuvré, la psyché de Suna puise aussi une partie de son inspiration dans ses virées nocturnes. À Paris, où il vit depuis une dizaine d’années, Antoine aime arpenter la ville quand la lumière naturelle baisse et que les réverbères prennent du service. Ces soirs-là, il traine dans le Nord-Est de la capitale. Une diagonale Pigalle Belleville. Là où la ville, justement, n’est pas si belle, où l’ivresse prend le pas sur la lucidité. Des nuits à discuter et à danser. Mais les déambulations dans le royaume nocturne sont avant tout prétexte à la recherche. Suna y décortique la musique qu’il entend. Capture des fulgurances au dictaphone. Récite des mélopées dans sa tête. Et quand tout le monde va se coucher, à six ou sept heures du matin, le geek en lui, appelé par le chant des machines, reprend du service. Antoine veille dans son studio, réécoute ses petits trésors, compose et prolonge les vibrations de la soirée. Il ne se prétend pas sorcier. Parfois ça marche, parfois ça ne marche pas. Ces expérimentations sont à l’image de son art. Entre ces jalons majeurs qu’ont été sa victoire dans le concours Tsugi de remix avec sa sensible et inattendue réinterprétation du titre « Yan Kadi » du jazzman Eric Legnini en 2014, sa signature chez Opening Light puis Discograph et le succès de son morceau « Sometime » l’année suivante, sa composition d’un remix pour le compte des Angus & Julia Stone qui finira dans leur album deluxe, et la sortie de « Grey », son premier single chez PIAS en 2017, la musique de Suna n’a cessé de s’ouvrir à de nouveaux horizons.

Aujourd’hui, en 2018, avec ce maxi intitulé « Surprise Surprise », la mélancolie et les teintes vaporeuses sont toujours là. On les retrouve parfaitement dans « Noir », nouvelle version aérienne de « Grey » dans laquelle il dit mieux se retrouver. Toutefois, sur ce maxi, et plus encore, sur cet album à venir en 2019, on découvre des sonorités pop nouvelles et des refrains catchy, à l’instar de ces boucles, de ces incantations et de ces Please come to me que Suna répète en boucle sur « Dis Oui ». Ces effets, Suna lui-même les pensait impensables, lorsqu’il a décidé, il y a quatre ans, de se détourner d’une carrière qui lui tendait les bras dans la publicité pour se consacrer uniquement à sa passion. Dans cette musique, qu’il fabrique sur ses machines, on retrouve aussi les sonorités aux motifs si entêtants de ces jeux vidéo qui ont rythmé son enfance et son adolescence. « Cœur Cœur » aurait été la bande son parfaite des poursuites haletantes sur un GTA ou un Need For Speed. Pour accoucher de ces morceaux aux montées souvent épiques, Suna reste enfermé parfois des jours durant dans son studio montmartrois, poussant l’isolement jusqu’à se défaire de son smartphone et de ces notifications qui parasitent la concentration. C’est en partie là qu’il s’est éduqué en s’amusant à décortiquer et reconstruire jusqu’à l’os la musique des Mount Kimbie, Burial, Caribou, Four Tet ou Toro y Moi, références qu’il revendique fièrement.

Posé, un peu dans la lune, et plus que tout modeste, Suna élabore patiemment son univers et sa couleur musicale, en insufflant aux machines la dose d’humanité qui lui ressemble tant. Et quand la froideur de Paris et l’enfermement du studio lui pèsent trop, alors, Suna met les voiles. Il s’en remet à un autre de ses outils de travail, inattendu celui-ci : sa carte SNCF illimitée. Le producteur saute alors dans le premier TGV, direction Nîmes. Il s’échappe dans son second studio, plus grand celui-ci, dans la quiétude de la maison familiale, à l’endroit même où il a commencé la guitare aux premières encablures de l’adolescence, là aussi où, quelques années plus tôt, encore enfant, il a commencé à composer de la musique sur ordinateur. Antoine était tombé sur un drôle de programme de musique contenu dans un logiciel éducatif à la Adibou. Le souvenir est lointain mais les images et les sensations, elles, sont intactes. Suna se souvient qu’il y avait quelques loops de batteries, violon, guitare, basse, le tout arrangé pour que ça sonne bien, quoi qu’on en fasse. De là est sans doute née une vocation. Le soleil nîmois, les heures de gaming, une goutte de nuit parisienne et un travail sans relâche ont fait le reste.