Knowle West Boy a été enregistré entre Londres et Los Angeles. On avait commencé il y a un an à Londres, mais je n’étais pas complètement satisfait de l’écriture, c’était trop ″détaché″, général... Je suis parti à LA, et là, j’ai tout réécrit. J’ai tout produit moi-même, à part deux morceaux, coproduits par Switch. On peut dire qu’il a vraiment contribué à rendre Council Estate vivant.

Knowle West, c’est le quartier où je suis né. Un ghetto blanc. Le racisme, je ne connaissais pas avant de partir de là. Ma famille est métisse, ça veut dire qu’on ne voit pas les couleurs. J’ai évolué dans cette cité plutôt en tant que blanc, mais avec des racines jamaïcaines. On avait tous un truc en commun en tous cas : la pauvreté. Un jour, à Notting Hill, un type m’a dit que mes chansons l’avaient aidé à supporter la prison. Quelle sensation… je me suis aperçu que je n’avais jamais écrit expressément pour des gens comme lui, comme moi ou comme ceux avec qui j’avais grandit. School Gates par exemple… c’est l’histoire vraie de ma copine de l’époque, tombée enceinte à 16 ans. Council Estate : cette chanson raconte notre enfance. Parce que oui, Coldplay, c’est bien. Mais ça part un peu dans le pathos au bout d’un moment. Je voulais des paroles similaires à celles des chansons des Specials, de Blondie ou des Banshees que gamin, j’adorais. Et des paroles auxquelles quelqu’un comme moi pourrait s’identifier. Ca fait un moment que Vulnerable est sorti, c’était en 2003. 5 ans déjà? Je pensais 3! Les deux années qui ont suivi, j’habitais New York. Je trainais… En fait, j’avais eu ma dose de tout ça. L’album, la tournée… ça passait trop vite. Ma vie, n’était plus qu’une suite de cycles d’albums. En plus, j’avais enfin réussi à me poser, et puis soudain, tout redevenait un peu n’importe quoi. Je commençais à passer du temps avec des cousins jamaïcains qui habitaient le Bronx. Je me suis vite aperçu qu’on ne savait pas qui j’étais là. On trainait régulièrement devant un magasin de produits jamaïcains à Manhattan. On se faisait des discussions en jamaïcain, et puis on allait rapper sur de la musique dans des clubs ou des bars.

D’un an, c’est passé à deux, puis trois. C’est là que je suis parti pour LA, je devais travailler pour Jerry Bruckheimer sur quelques films. C’est un type incroyable! J’allais habiter à l’hôtel trois mois, puis c’est passé à six, alors autant prendre un appartement. Je me suis retrouvé un peu coincé à LA ! Je faisais la même chose qu’à New York : la fête. LA n’a pas eu de prise sur moi… Je suis toujours moi. Mais oui, LA, ça peut te foutre en l’air, comme jamais Londres ou New York ne le pourraient. J’ai vu des gens s’installer à LA et devenir, au bout d’un an, des épaves, des mecs cassés. Si tu ne restes pas au clair sur tes objectifs, tu peux vraiment te mettre dans la merde. Et moi, j’ai failli. Etre enfermé en studio, c’est moins sympa que de boire un petit saké sur Sunset Boulevard! Au bout de quelques mois, je connaissais tout le monde. Je rentrais où je voulais… c’était devenu une seule et même grosse fête. Il fallait que je parte d’Hollywood.

Ensuite, j’ai monté le label Brown Punk avec Chris Blackwell. Je commençais à travailler sur la réalisation de « Brown Punk – le film », que j’ai terminé en un an. Ce n’est pas comme si, à côté de ça, je ne voulais pas faire un album. En fait, j’ai passé un an à chercher un label. Et il y a eu des rendez-vous dramatiques, parfois très, très mauvais. Drôles aussi. C’est à la suite d’un de ces très mauvais rendez-vous que je suis allé voir Chris Blackwell à Londres. Je lui ai dit : « Chris… je crois que je vais peut-être devoir le sortir sur Brown Punk ». Il a répondu que ça n’était jamais bon de sortir quelque chose sur son propre label. J’étais d’accord, mais en mode désespéré. Alors Chris m’a dit : « OK, il faut que tu ailles voir Domino ». Il m’a décroché un rendez-vous, je pensais qu’il était ami avec Laurence Bell. Laurence et moi, on s’entend bien, on se revoit, on est tous les deux intéressés. Je lui demande : « Tu connais Chris depuis combien de temps ?» et Laurence dit « Je ne le connais pas ». « Mais comment j’ai eu ce rendez-vous alors ? », Il répond : « Aucune idée ». Absolument parfait. J’ai signé chez Domino. Les groupes révélés par Domino - les Arctic Monkeys, Franz Ferdinand - sonnent peut-être un peu pop et “efficace” : ce sont de bonnes chansons. Mais ils ne sont pas arrivés au succès en passant par les circuits classiques. Et ça, c’est parfait pour moi : j’ai la chance d’avoir mon propre son, mais sur cet album, je voulais un morceau comme Council Estate, qui emprunte beaucoup aux Specials, tout en mettant ça à ma sauce.

C’est comme Puppy Toy, qui est un blues. Petit, je rêvais de faire partie des Specials, d’être sur scène avec Terry Hall. Pour cet album, je me suis dit : je fais de la musique. Je peux devenir les Specials le temps d’un morceau, Tom Waits ou Howlin’ Wolf sur un autre. Past Mistake, par contre, c’est un morceau auquel les gens pourraient s’attendre de ma part. Sur Coalition, je fais mon rappeur hardcore. Donc oui, je réalise tous mes rêves avec cet album : J’ai toujours aspiré à devenir les gens que j’admire! Il me fallait un label britannique pour faire ça, et aussi pour me donner une raison de rentrer chez moi. Le label Epitaph était très bien, à part au niveau de sa présence en Angleterre. Or, c’est chez moi. Je retourne y vivre bientôt, et je voulais faire un album anglais.

 Il y a beaucoup de chanteurs sur cet album. Ce que, d’ailleurs, je ne suis pas : un album ne pourrait pas reposer entièrement sur ma voix. Je suis réaliste, c’est tout. En plus, j’adore travailler avec des chanteuses. Beaucoup de mes paroles sont le reflet d’un point-de-vue féminin. Je rêve de chanter comme Janis Joplin ou PJ Harvey, mais c’est impossible. J’ai donc besoin – oui, besoin – de l’aide de chanteuses. Alex Mills, c’est une fille de Leeds qui est signée sur mon label Brown Punk. Elle chante et fait les passages spoken word sur Puppy Toy. La voix reggae sur Bacative et Baligaga, c’est mon pote Rodigan de New York… un de mes compagnons du Bronx. ″Baligaga″, c’est un mot inventé… ce que ça veut dire ? Putain, aucune idée ! ″Bacative″, c’est de l’argot jamaïcain. En gros, si quelqu’un protège tes arrières, tu as de la bacative. Joseph est l’une des deux chansons qui portent le nom de leur chanteur principal. Joseph, c’est un artiste de rue que j’ai rencontré devant un restaurant à LA. Mais j’ai perdu ses coordonnées. Pas la moindre idée d’où il se trouve. J’ai donc intitulé ce morceau Joseph dans l’espoir qu’il l’entendra, me recontactera, et qu’on retravaillera ensemble. C’est arrivé plusieurs fois avec cet album. La voix féminine de Bacative, par exemple, c’est celle d’une fille espagnole que je ne connais pas vraiment et qui n’est pas non plus vraiment une chanteuse. Veronica, elle, c’est une amie qui fait partie d’un excellent groupe italien. C’est elle qui a écrit la chanson, pas moi. Mais j’ai changé la musique. C’est pour ça que là aussi, le morceau porte son nom. Sur Past Mistake et School Gates, c’est mon ex, Lubna, qui chante. Elle est franco-marocaine, et on vient de se séparer de façon atroce. C’est marrant… Lubna et moi avons écrit Past Mistake au moment où notre relation partait en vrille. Un jour, bien plus tard, on l’écoutait au lit, et on a compris que ça parlait de nous, et de la situation critique de notre couple. C’est comme si on le savait déjà à l’époque…

Council Estate, c’est moi. C’est la première fois qu’il n’y a que moi au chant. Je ne pouvais pas la chuchoter celle-là. Il a fallu que je me lâche, et que je pose une ligne de chant forte, hurlante. Je voulais être un vrai ″front man″ sur celle-là. J’ai repris Slow de Kylie, parce que j’adore cette chanson. C’est le clip le plus sexy que j’aie jamais vu… Putain, c’est chaud. J’ai consacré beaucoup de temps aux paroles cette fois-ci. Je n’ai jamais de problèmes pour écrire les paroles… j’ai de la chance. Mais parfois, quand ça vient tout seul, on devient paresseux. Je ne cherchais plus que la rime. Donc là, je me suis concentré sur les paroles, je voulais qu’elles aient vraiment un sens. Cet album pourrait bien déstabiliser les gens. C’est l’expression de mon fil de pensées. Quand on m’a découvert au milieu des années 90, on m’a mal compris. On me voit comme un type dur, sombre. Les gens qui me connaissent savent que je suis un marrant. Je casse tout ce que je touche, et je ne me prends jamais au sérieux. Ca n’est pas comme ça qu’on me perçoit, mais j’assume, pas de regrets. Knowle West Boy, pour moi, est très excitant. Je retrouve les sensations de mon premier album. Je veux que les gens l’écoutent, je veux en parler, et partir faire une longue tournée. Ca n’aurait pas été aussi excitant si je n’avais pas passé ces quelques années dans le Bronx, anonyme, à faire la queue à l’entrée des clubs comme tout le monde. Avant ça, ma vie incroyable de musicien me semblait acquise. Il fallait juste que je redescende d’un cran ou deux. Aujourd’hui, je me sens redevenir gamin. D’où le titre Knowle West Boy. Je viens de là.