En concert le 24 août 2013 au Festival Rock en Seine.

En concert le 9 novembre 2013 au Festival Les Inrocks @ La Cigale.

En promo du 3 au 5 septembre à Paris.

Si Valerie June avait été une artiste roots en Amérique il y a 80 ans, et elle chante souvent comme si c’étais le cas, elle aurait pu avoir une influence majeure sur la pléiade de troubadours rétro d’aujourd’hui, avec sa fusion étonnamment sensible de blues, de folk, de gospel, de soul, de musique des Appalaches et de bluegrass (et son irrésistible banjo). Cette musicienne, pourtant, est bien d’aujourd’hui, aussi moderne qu’un iPod Shuffle, chantant pour la génération qui transporte si nonchalamment l’histoire entière de la musique enregistrée dans son téléphone.

Evoquant l’image d’une forte distillation bouillonnant sur un porche à l’époque de la Prohibition, Valerie June fait ce qu’elle appelle de la “musique roots organique de contrebande”, de la musique pour les fêtes sur les vérandas d’aujourd’hui, où elle gratte sa guitare, pince les cordes de son banjo, ouvre la bouche et envoie de façon détachée un delta-blues-country strident, un carillonnement stupéfiant, quelque part entre Dolly Parton et Billie Holiday. Ou peut-être plutôt Wanda Jackson et Shirley Goodman, vous savez, de Shirley & Co, qui chantaient « Shame, Shame, Shame » ce disco si fringant en 1974 ? Valerie June vous fait ça : elle atteint votre cerveau musical et le secoue, libérant des fantômes, des émotions et des souvenirs, tous flottant comme une myriade de flocons musicaux dans la boule à neige de votre esprit. Musicienne, chanteuse et auteur de chansons autodidacte venue de la petite ville de Humbault, près de Jackson, dans le Tennessee (8000 habitants), elle a peaufiné ce son étonnant dans l’atmosphère animée de Memphis, le spectre de ses influences recouvrant l’histoire de la musique elle-même : Elizabeth Cotten, Leadbelly, The Carter Family, Whitney Houston, Van Morrison, Dolly Parton, Roscoe Holcomb, Woody Guthrie, Nico, Nina Simone, Bob Dylan, The Beatles, Nick Drake, Leonard Cohen, Joni Mitchell, Tracey Chapman, Billie Holiday, Blind Lemon Jefferson, Mississippi John Hurt, Elmore James, Skip James, Blind Willie McTell, Memphis Minnie...
« Étant de Jackson, dans le Tennessee, j’ai grandi à une heure de Memphis et à deux heures de Nashville,” entonne Valerie June de sa voix chantante de beauté du sud. “C’était et c’est toujours difficile d’aller où que ce soit sans entendre de la country et du blues. Ça me rappelle toujours la maison. C’est l’endroit du Sud où, en art, les frontières entre les couleurs semblent s’effacer.”
Son premier album, pourtant, incarne un concept extrêmement rare aujourd’hui : il est unique.

Pushin' Against A Stone, sorti sur le label stellaire de Rob da Bank, Sunday Best, a principalement été enregistré dans le studio Easy Eye des Black Keys, à Nashville. Produit par Dan Auerbach (The Black Keys) et Kevin Augunas (Edward Sharpe & The Magnetic Zeros, Florence & The Machine), c’est une carte postale sonore de l’univers où s’entrechoquent les atomes de l’histoire.
“J’aime tout simplement les vieux disques,” dit en souriant cette femme magnifique, avec ses dreadlocks à l’ancienne qui partent librement en spirales. “J’aime les sons qui grattent, qui grésillent. Comme pleins d’autres gens ! Je pense qu’on veut juste entendre de la vraie musique. A côté de la musique moderne aux beats mécaniques. Pendant un temps, les nouveautés n’allaient que dans une seule direction et les gens ont commencé à regretter les vieux trucs. Je pense que c’est quelque chose dont tout le monde a envie.”

Son premier single, « Workin’ Woman Blues », est explosif, un véritable hymne de blues-pop contemporaine, comme si Bobbie Gentry se produisait accompagnée par la revue soul Stax, avec ce chant hypnotique qui dit les choses comme elles sont : “Je ne suis pas faite pour être une mère, je ne suis pas faite pour être une épouse, ouais, j’ai travaillé comme un homme, écoutez-moi tous, j’ai travaillé toute ma vie.” Ailleurs, il y a un soul-blues parfait pour faire la fête, « You Can't Be Told », le swing gospel à vous faire claquer des doigts de « The Hour », l’ivresse spectrale et marécageuse de « Pushin' Against A Stone » (Les Specials rencontrent Phil Spector) et le décontracté « Wanna Be On Your Mind », genre Shangri-Las dans les vapes, la voix de Valerie June sonnant, on ne sait trop comment, à la fois vieille comme mère nature et jeune, aussi malicieusement naïve qu’une écolière sautillant en rentrant chez elle. Étonnamment, elle n’avait jamais travaillé avec un producteur, et cette expérience lui a ouvert une infinité de nouvelles possibilités.
“C’était différent et c’était super,” dit-elle. “Je m’accrochais à une image particulière de ce que je voulais être en tant que musicienne folk, country, sudiste. Mais quand j’ai entendu les idées des producteurs, j’ai pensé, 'vois plus grand'. J’ai regardé les carrières de Joni Mitchell, de Van Morrison, de Joan Baez ; ils ont enregistré toutes sortes de musiques. Si je veux sortir un disque punk la semaine prochaine, c’est moi. Tout est moi.”

On n’entend plus trop parler, ces temps-ci, des filles de la classe ouvrière, celles qui ne peuvent pas se payer le luxe de poursuivre leurs rêves les plus audacieux. Valerie June, l’aînée de cinq enfants (qui jouaient souvent à être les Jackson Five), a d’abord appris à chanter à l’église, dans une église noire et plus tard, dans une blanche, quand sa famille a déménagé à la campagne. A l’église, les gens chantaient, “même s’ils ne savaient pas chanter” et elle les imitait tous, “des sans-abris aux gens riches, jusqu’à ce que ma propre voix commence à émerger, un mélange de tout ce monde”. Elle a commencé à travailler à l’adolescence en aidant son père qui était promoteur de chanteurs de gospel et travaillait dans le bâtiment (elle accrochait des affiches sur les murs de la ville puis se rendait sur des chantiers de démolition). Très vite, elle s’est mise à chanter constamment, écrivant des chansons, cherchant la liberté en voyageant comme un oiseau chanteur vagabond, de haut en bas de la Côte Ouest américaine, puis de la Côte Est. A la fois rossignol nomade et artisane holistique, elle chantait pour quelques pièces dans les stations de métro et vendait son propre savon fait main. Quand elle est revenue à Memphis, en 2000, elle avait écrit 200 chansons et appris toute seule la guitare et le banjo, ce qui faisait lever au ciel les yeux des voisins. “Les noirs ne sont pas censés jouer de banjo,” dit-elle en riant, “c’est considéré comme un instrument country et bluegrass, mais c’est africain. Je l’adore.” Rapidement, elle testait ses talents musicaux hésitants dans les bars et les restaurants de Memphis.
“C’était plus pour m’apprendre à affronter les gens,” note-t-elle. “Memphis est une bonne ville où grandir. Si tu fais une erreur, les gens disent, 'on a entendu de bons passages'. Ils t’encouragent. Tu peux prendre ton temps.”

Avec le rêve de faire un album studio mais pas un sou pour le financer, “c’est difficile de penser à faire un disque quand tu dois payer ton loyer”, elle a commencé à travailler à plein temps, se creusant un tunnel vers la liberté comme Andy Dufresne dans Shawshank Redemption (Les Evadés) grâce à un boulot quotidien acharné et déterminé. Elle a ainsi effectué une myriade de petits boulots : gouvernante, promeneuse de chien, baby-sitter, cuisinière végétarienne, gardienne de maison et assistante personnelle pour riches. Et ça, c’était juste le matin. “L’après-midi, je travaillais dans une herboristerie, Maggie's Pharm. Puis j’allais donner un concert, seule avec ma guitare.” Elle a commencé à émerger en jouant au Memphis Music & Heritage Festival, à l’International Folk Alliance Conference, au Cooper-Young Festival, au King Biscuit Blues Festival à Helena, dans l’Arizona, gagnant finalement assez d’argent pour enregistrer trois disques lo-fi qu’elle vendait sous forme de CD sur ses tournées : l’acoustique et brut The Way Of The Weeping Willow (enregistré dans une ferme des années 1800), le vocalement hypnotique Mountain Of Rose Quartz et l’envoûtant Valerie June And The Tennessee Express, une collaboration avec la troupe bluegrass de Nashville, The Old Crow Medicine Show (qui avait tourné avec Mumford & Sons). “Ils ont pas mal de succès, ils adoraient ma musique et m’on dit 'hé, t’en fais pas pour l’argent, viens juste enregistrer quelques chansons avec nous'.” En 2009, elle a été l’une des artistes figurant au générique de la série en ligne de MTV $5 Cover (qui suivait les vies de musiciens de Memphis tentant de joindre les deux bouts) et a finalement rassemblé 15 000 dollars via le site de souscription Kickstarter pour enregistrer un vrai premier album. Puis la chance s’en est mêlée : par le bouche à oreille, le manager du producteur Kevin Augunas a entendu la musique de Valerie, l’a envoyée à Augunas, qui l’a tellement aimée qu’il a pris un avion pour Memphis dès le lendemain. Il lui a demandé avec qui elle aimerait écrire et elle a suggéré Dan Auerbach, dont elle adorait le travail en solo (et qui avait récemment déménagé à Nashville). Valerie, qui n’avait auparavant, délibérément, jamais signé avec un label, après qu’Universal Amérique lui ait tourné autour pendant des années, a finalement été repérée alors qu’elle se produisait en France par l’associée du label Sunday Best, Sarah Bolshi.

“Je n’avais jamais signé de contrat avec une maison de disque parce que je ne le sentais pas,” dit-elle. “J’ai besoin d’être avec des gens qui non seulement aiment ce disque mais aussi mes trucs plus minimalistes. Les gens me disaient, 'tu pourras faire ce que tu veux sur notre label'. Je ne faisais confiance à personne qui me disait ce genre de truc, jusqu’à ce que je rencontre Sarah ! Et ça me ressemble plus, un label spécialisé.”
Pushin' Against A Stone (Pousser un rocher) s’appelle ainsi parce que c’est l’histoire de sa vie - et l’histoire de ses ancêtres, aussi.

“J’ai l’impression d’avoir passé ma vie à pousser un rocher,” dit-elle. “Et les boulots que j’ai faits étaient parfaits pour comprendre comment se sentaient les artistes traditionnels que j’adorais quand ils rentraient chez eux après une dure journée pour s’asseoir sur le porche et jouer des chansons jusqu’à l’heure du coucher. C’est la raison pour laquelle ils étaient vieux avant que tout le monde ne les découvre. Quand j’ai commencé à jouer, je me disais, OK, j’ai un peu plus de vingt ans, je ne serai probablement pas la nouvelle Beyonce, il ne va sûrement rien se passer pour moi avant que je ne sois très vieille. Comme... Seasick Steve ! Que j’adore. Et alors, peut-être que quelqu’un viendra me voir jouer dans ma cabane dans le Mississippi. C’est plus ou moins comme ça que ça se passe pour de nombreux artistes qui font de la vraie musique. Je suis donc vraiment contente que ça m’arrive maintenant et que je ne sois pas obligée de monter sur scène avec une canne.”
De bonnes choses arrivent à ceux qui savent attendre, et le moment de Valerie June est venu, l’année dernière ayant amené des critiques dithyrambiques après son passage à SXSW, une collaboration avec le producteur des Fugees nommé aux Grammy Awards, John Forte (sur la chanson hip-hop-blues « Give Me Water »), alors que le bouche à oreille est graduellement passé du murmure au hurlement collectif mondial. En septembre, une de ses amies lui a envoyé un message sur Facebook disant qu’elle avait vu une vidéo de son magnifique passage au Bestival.

“Elle disait, 'tu vas devenir une immense star',” raconte la fascinante Valerie June dans un sourire. “Il y a quelques temps, j’aurais fait, ‘je ne sais pas si j’ai envie d’être une immense star’. Mais maintenant, tu sais quoi ? Si j’ai une opportunité ? Je la saisirai. Je le mérite. J’en ai bavé ! Je ne peux plus travailler chez Maggie's Pharm. Si tu veux m’apporter un café, ouais, je te laisse me l’apporter. Parce que j’ai été celle qui apportait le café. Je n’ai pas besoin d’expériences supplémentaires dans ce domaine. Maintenant, être une reine ? Ok ! Je pense que je ne serais pas contre le fait de me faire chouchouter un peu. Allez-y.”