De fulgurances noisy en ellipses folk, de plages ambiantes en voix diaphanes,  Benoît de Villeneuve suit une route sûre, guidé par son bon goût. Jamais là où on pourrait l’attendre, il tisse sous le nom de Villeneuve une vaste tapisserie pop à la géographie émotionnelle passionnante, où les misfits de tout bord côtoient les grands maîtres.

A la fois producteur, songwriter et pygmalion, il a notamment travaillé avec Christophe Willem, Stéphane Eicher, Anaïs, sur les films "Mesrine" et "Le bal des actrices" de Maïwenn, mais aussi M83 ou Agoria ou écrit et réalisé l'album de Mélanie Pain (Nouvelle Vague). Un grand écart qu'il revendique, étant à la fois passionné de chansons populaires que de niches expérimentales, à la manière d'un Brian Eno avec lequel il partage à l’évidence une certaine forme de sensibilité pop.

Près de cinq ans après un premier opus remarqué, le bien nommé « First Date » en 2005, Villeneuve revient aujourd’hui avec les dix chansons de « Dry Marks of Memory ». Voix et synthétiseurs analogiques ont été enregistrés dans son home-studio parisien. La plupart  des sessions se sont déroulées en live au studio Jet, à Bruxelles.

Attachant et allègre, ce deuxième opus saisit toutes les nuances d’un groupe de musiciens jouant ensemble dans une pièce à l’ancienne, où le son même du studio prend toute son importance. Leonard Cohen rassembla un jour certaines de ses chansons sous l’étiquette de «Songs From A Room». C’est exactement ce vers quoi tend Villeneuve, afin de saisir le son d’une pièce où le moindre instrument vibre et résonne naturellement.

Cet opus très dense illustre une maturité et un savoir-faire à l’épreuve des solutions de facilité et des modes du moment. L’artisanat de Villeneuve, du prémixage très abouti à la manière dont les voix s’immiscent entre elles est remarquable.

Cette minutie n’a rien de laborieuse, on entend ici avant tout une réelle envie de jouer ensemble et de se faire plaisir, dirigée par une sensibilité pop étonnante. Intenses et jubilatoires, les concerts de Villeneuve en sont la parfaite illustration.

De la batterie pneumatique de Yours and Yours à la montée incantatoire de Set The Level, l’album regorge d’émotions longtemps enfouies, qui ne demandent qu’à briller de mille feux. Ozark Henry est le héros vocal de Yours and Yours alors que la jeune révélation anglaise Liz Green chante sur Words of Yesterday, mais aussi en duo avec Villeneuve sur Second Start.

Une batterie jazz tellurique côtoie des nappes de guitares shoegaze sur Patterns alors que des instruments inattendus comme le kalimba, le saxophone ou le banjo se fondent dans l'électricité analogique, pour former ce que Villeneuve appelle "une collection de chansons classiques, mais aussi un voyage sonore bizarre".

La guitare steel de The Sun, évoque les plus belles heures de Mazzy Star et de Mojave 3. Pour ce titre, un des sommets du disque, Villeneuve souhaitait « un morceau très pur, naïf, un vrai slow où tu prends ta/ton chéri(e) pour une danse sentimentale, sans que le chant soit trop mielleux ou trop lisse ». Nili du groupe Lilly Wood & The Prick resplendit sur The Sun. Elle chante sans minauder, avec un grain précieux dans la voix.

A la fois élusifs mais gorgés d’images poétiques, les textes, outre les voix et les mélodies, sont l’une des forces de ce disque. Il y est question selon Villeneuve « d’impressions, de visions, du passé, de la nature, de choses classiques avec des images futuristes, des esprits ».

Doté d’une culture musicale très vaste, Villeneuve parle avec passion de ses influences musicales. Au fil de la discussion, l’évocation de Brian Eno est naturelle. Il s’agit sans doute de la référence la plus visible sur cet album. Il cite aussi volontiers David Axelrod, Wilco, Neil Young ou Yo La Tengo comme autres sources d’inspiration. Iconoclaste, Villeneuve reconnaît volontiers avoir fait ses premières armes musicales en compagnie des Rolling Stones et de Jean-Michel Jarre.

A l’image de sa musique, Villeneuve garde un pied dans un univers très personnel et l’autre, grâce à la force de son écriture et de ses mélodies, dans un côté pop prononcé, « de la pop pure pour les gens d’aujourd’hui » pour paraphraser Nick Lowe.

Florent MAZZOLENI